L'Exodus 1947, le navire de l'espoir

La solidarité des sétois et le courage du commissaire Leboutet ont permis de sauver plus de 4500 rescapés des camps de la mort nazis.

 

Le 11 juillet 1947, un bâtiment battant pavillon panaméen, le President Warfield, quitte le port de Sète avec à son bord 4 554 hommes, femmes et enfants. Les passagers, tous Juifs, rescapés de la Shoah, espèrent construire une nouvelle vie, en Terre Promise, la Palestine étant alors sous mandat britannique.
Après 5 jours de navigation, et hors des eaux territoriales françaises, le President Warfield est rebaptisé Exodus 1947. Le drapeau israélien remplace le pavillon panaméen et le soir même, des avions de reconnaissance britanniques survolent le navire qui approche des eaux territoriales de la Palestine sous mandat britannique, afin d’accoster à Haifa.

Le commandant américain de  l’Exodus 1947 lance un message codé pour la Haganah * à Tel-Aviv et continue sa route. À l’entrée des eaux territoriales palestiniennes, un croiseur et 5 contre-torpilleurs britanniques apparaissent, mais le navire Exodus 1947 refuse d’obtempérer à la demande des autorités d’arrêter les machines. Finalement, les destroyers britanniques attaquent à 27 km des côtes. Les passagers de l’Exodus résistent à l’abordage en lançant des projectiles divers : bouteilles, boîtes de conserves, pommes de terre, etc… La lutte est si acharnée malgré les projectiles de fortune utilisés par les rescapés et les Britanniques décident de faire usage de leurs armes, faisant 3 morts et plus de 200 blessés parmi les juifs qui sortaient des camps d’exterminations mis en œuvre par Hitler en vue de la Solution Finale à savoir massacrer tous les juifs.

L’expédition prend une tournure cruelle quand, au lieu de débarquer ses prisonniers dans des camps de migrants sur l’île de Chypre, la Grande-Bretagne décide de les renvoyer à leur point de départ, en France, avant de les renvoyer en Allemagne d’où ils avaient été libérés par les alliés. Les passagers sont transbordés sur 3 navires de déportation britanniques, véritables bateaux prisons où les passages sont « encagés ».

Quand ils arrivent à Port-de-Bouc, l’ensemble des prisonniers refusent de débarquer. Le gouvernement français fait savoir aux migrants de l’Exodus 1947 qu’avec leur consentement il leur sera donné asile sur le sol français, où ils jouiront de toutes leurs libertés. Seuls 75 passagers, épuisés, acceptent cette proposition française : les autres refusent catégoriquement. « Nous désirons nous rendre en Palestine, on ne nous débarquera ici que morts ».

Finalement, le gouvernement britannique donne l’ordre aux 3 navires de rallier Hambourg via Gibraltar. Tout est prévu pour accueillir les prisonniers : forces militaires et policières, lances à incendie, grenades lacrymogènes et ambulances de la Croix Rouge mobilisées pour cette opération Oasis. Une fois à Hambourg, des trains grillagés, bondés de migrants, se dirigent vers les camps de Pöppendorf et d’Amstau, près de Lübeck.

La presse internationale se déchaîne en faisant le parallèle avec les camps nazis. Le Manchester Gardian écrit le 10 septembre 1947 : « On ne s’attendait pas à une telle conduite de la part d’un gouvernement britannique, encore moins d’un gouvernement travailliste ». L’histoire de l’Exodus 1947 bouleverse l’opinion mondiale qui prend fait et cause pour cette colonie errante.

Un périple tumultueux pour rejoindre la Terre Promise : Les rescapés sont séparés en petits groupes et ballotés entre ports et camp.  Certains trouvent asile temporaire en Europe avant de poursuivre leur terrible périple vers la terre promise.
Le 14 Mai 1948, l’État d’Israël voit le jour sur sa terre natale ancestrale, avec la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël.
Le 28 juillet 1948, le Herald Tribune de Paris titre : « les juifs de l’Exodus » sont enfin chez eux. La Haganah* déclare avoir rempli sa mission de ramener les rescapé de la Shoah en Israel.
Le 11 mai 1949, l’état d’Israël devient membre de l’ONU
* Haganah ( הגנה ) signifie défense en hébreu. La Haganah était une organisation paramilitaire sioniste créée en 1920 et intégrée dans l’armée israélienne en 1948, à la reconnaissance de la création de l’état d’Israël par L’ONU. Son but originel était de défendre les communautés juives civiles vivant en Palestine d’éventuelles attaques par les Arabes, (comme celles de 1920 à Jérusalem ou lors de la Grande Révolte arabe de 1936- 1939 en Palestine mandataire). Originellement rattachée à la direction du syndicat sioniste Histadrout, l’organisation est transférée sous le contrôle de l’Agence juive (l’exécutif sioniste en Palestine sous mandat britannique) en 1931. Elle en devient alors la branche armée officieuse, car illégale aux yeux des britanniques mandataires.
 
 
Le Commissaire Laurent LEBOUTET 
Un des acteurs clés du sauvetage des rescapés de la Shoah, embarqués sur l’EXODUS, son courage lui a valu la désignation de JUSTE PARMI LES NATIONS.
Sans le commissaire spécial du port de Sète, Laurent Leboutet, le départ de l’EXODUS alors dénommé President Warfield, aurait été impossible. Ce commissaire au caractère déterminé et résolument humain, fait preuve d’une grande humanité et d’un courage exemplaire quand il prend la responsabilité de donner toutes les autorisations au capitaine Aronowicz pour permettre l’appareillage du navire. Il facilite l’embarquement en délivrant à chaque passager du navire un sauf-conduit officiel avec un nom d’emprunt, une photo et un tampon du visa du consul de Colombie car c’était la destination officielle du bateau ; et peu importe si la photo sur le document et le visage de celui ou celle qui monte à bord ne correspondent pas, il valide le document qui permet d’embarquer ! Rappelons que ces rescapés de la Shoah sortaient des camps d’extermination mis en œuvre par les nazis et n’avait donc aucun document d’identité.
Léonard Laurent Leboutet, dit Jean Le Breton, né le 20 septembre 1901 à Saint-Laurent-sur-Gorre, devient en 1935 commissaire à Montluçon. Nommé, pendant l’Occupation, chef des Renseignements généraux à Blois en zone occupée, il est en charge du point de contrôle de Selles-sur-Cher, sur la ligne de démarcation et y organise déjà une filière d’évasion pour venir en aide à des Juifs persécutés.
Le 2 mai 1943, il rejoint le réseau de Résistance Turma-Vengeance (Agent n° 91) et accomplit des missions pour la Résistance en Suisse. En juin 1944, recherché par la police de Vichy, il rejoint le maquis.
En juillet 1947, son implication est totale pour permettre l’embarquement, sur un navire calibré pour 700 passagers, de plus de 4500 rescapés de la solution finale mise en place par les nazis pour exterminer les juifs. C’est ce navire qui sera ensuite renommé EXODUS.   
Après son intervention pour faciliter le départ des migrants du port de Sète, il constituera à son domicile un petit musée de l’Exodus, qu’il léguera, après son décès, à l’État d’Israël.
Il fut décoré de la Légion d’Honneur, de deux Croix de Guerre et de la Médaille de la Résistance. Le 27 février 1991, Laurent Leboutet est fait citoyen d’honneur de l’État d’Israël et reçoit la médaille de Juste parmi les Nations, plus haute distinction civile de l’état d’Israël, délivrée par Yad Vashem.
 
Une préparation en secret, un embarquement dans l’urgence :
Le premier étage du restaurant Terminus à Sète est, ce mercredi soir 9 juillet 1947, réservé de bonne heure à un dîner de 20 couverts. Officiellement il s’agit d’un banquet sportif, auquel est convié le commissaire spécial du port, Laurent Leboutet, chef du secteur « Frontières » du service des Renseignements Généraux. L’établissement est exploité par Monsieur Michel, le directeur du Football-club de Sète, que préside M. Bayrou, et qui vient d’être classé en première division… Au menu : loup grillé au fenouil. Le policier remarque tout de suite dans l’assistance une jeune femme débordante de dynamisme qui le prend à part. C’est Simone Lévy qui obtient de Laurent Leboutet que l’embarquement se fasse à 3 heures du matin.
Lieu de rendez-vous : quai de la Consigne, sur le môle Saint-Louis, qui protège le vieux bassin à l’entrée de la rade. Le navire encore appelé Président Warfield s’y amarre, à la place assignée par le commandant du port, à angle droit, la poupe à quelques mètres du quai, la proue tournée vers le milieu de l’étroit bassin ouvert sur l’avant-port…
À 3 heures du matin, comme convenu avec Simone, le Commissaire Leboutet a installé ses 4 subordonnés à une table devant la planche de passage qui donne de plain-pied dans l’entrepont. Le Président Warfield est en effet amarré par son étroite poupe à quelques pieds du môle qu’il domine de ses structures impressionnantes et de sa haute cheminée noire, la proue regardant l’entrée du chenal. On ne peut y accéder que par 4 ouvertures latérales.
Leboutet charge les inspecteurs Louis Moschetti, René Vernhes, et Louis Le Prévost ainsi que son secrétaire François Nougaret de commencer à viser les sauf-conduits et à contrôler la régularité de l’embarquement des 4 052 émigrants dont la liste lui a été transmise, officiellement pour aller en Colombie.
Texte tiré de « Laurent Leboutet et l’Exodus… Le début de l’histoire »
Par Jacques Derogy, extraits d’Histoire de l’Exodus : la loi du retour, Éditions Fayard (réédition 1987)